Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le terrier de Nil-the-Frogg
8 novembre 2009

Stand down

NB : ce petit texte est juste un hommage et un clin d'oeil (que j'espère) amical.

~~~<>~~~


Nous nous sommes déjà croisés sans trop savoir où nous étions et moins encore où nous allions. Je n'ai plus de boussole depuis longtemps et il me semble qu'elle même n'ait guère confiance en ses portulans. D'ailleurs la carte n'est pas le territoire, celle du Tendre pas plus qu'une autre. Peu importe, j'aime nos échanges décousus faits de passions que l'on rapièce pour la circonstance et de lancinants silences.

Elle m'a téléphoné en début de semaine. J'étais content que ce soit elle. Mes seuls appels sont des démarcheurs tentant de me vendre un téléphone portable dernier cri ou des doubles vitrages révolutionnaires... "Oh ? Vous êtes locataire ? Au revoir Monsieur, désolée de vous avoir dérangé." Pas autant que moi de l'avoir été. En général, mon téléphone me plait plutôt lorsqu'il se tait. Mais c'était elle.

C'est étrange... Elle téléphone, gère, administre et négocie toute la journée avec une aisance et une assurance toutes professionnelles que j'imagine forgées par une longue pratique. Et la voilà au bout de mon fil qui tâtonne du bout des mots, comme intimidée par le silence électrique de l'engin. Peut-être a-t-elle simplement senti que je n'aimais pas parler dans un combiné ? C'est vrai qu'il est probablement difficile de ne pas s'en rendre compte. J'avoue que ce ton qui se veut jovial et s'empêtre dans la nasse électronique a un côté touchant.

Grignoter quelque chose ensemble ? Mais bien sûr, avec plaisir ! Pourquoi pas un five o'clock dans ce salon de thé du côté de Réaumur ? Elle m'a expliqué qu'elle pensait à quelque chose de plus tranquille, pour que nous puissions bavarder au calme. Comme je suis toujours un peu long à la comprenette, elle s'est résolue à préciser que chez l'un de nous, ce serait vraiment l'idéal. J'ai acquiescé machinalement, sans beaucoup de conviction.

C'est que je balayais du regard cet antre où je vis en me disant que je n'avais aucune envie d'y inviter quiconque. Oh, il est très représentatif de l'animal qui s'y terre. C'est bien le problème. Avec un peu de sueur et quelque acharnement, il doit être tout à fait possible de faire disparaître en quelques heures les cartons à pizza, les canettes vides, les collines de linge, les jungles de courrier non trié, la collection de Playboys dont l'encre fragile garde la trace de mes empreintes digitales et même de récurer les espaces ainsi dégagés. Mais cela ne suffirait pas. Le lieu resterait un assemblage hétéroclite d'objets glanés à droite à gauche, sans souci esthétique ni cohérence, juste parce que c'est pratique et pas cher, juste parce que ça s'est échoué ici un jour et n'en est plus reparti. L'âcre odeur de tabac froid ne s'en irait pas non plus et reprendrait ses droits sitôt évanouies celles de la bougie à l'eucalyptus et de la pizza trois fromages. Et que dire de ces pauvres posters jaunis que je ne puis ôter des murs sans révéler les rectangles clairs qu'ils y laisseraient en souvenir ?

Elle me rassura en me proposant de passer chez elle ce vendredi à six heures. J'acceptai avec un sourire de soulagement. Pour boire, voyons voir... Le thé vert présente mieux que la bière. Et pour manger, et bien je ne suis pas difficile, mais j'imagine qu'au goûter fruits et viennoiseries seront de la partie. Peu importe, j'aime être surpris. Ah, je précisai tout de même que je suis allergique à l'arachide, au cas où.

C'était il y a bientôt une semaine et je n'ai guère eu le temps d'y penser. Ne vous y trompez pas : ne pas en avoir le temps ne m'a pas empêché de le faire... Tout le temps, justement. Ma distraction en a même agacé plus d'un, mais ils s'en remettront bien. Une question en particulier me taraude. Elle si réservée d'habitude, si soucieuse de garder ses distances, sa zone d'intimité, que lui prend-il soudain de m'ouvrir son jardin secret, son chez elle ? J'imagine qu'elle ne fait cet honneur qu'à ceux jugés inoffensifs. Ou alors... Oh, une question plus terre à terre se pose aussi. Ne pas venir les mains vides va de soi, mais qu'offrir ? Des fleurs ? Mais bien sûr, et pourquoi pas des bonbons aussi ? Du parfum ? Voilà bien le cadeau délicat par essence, tant l'odeur dont on se drape relève de choix à peine conscients... Des chocolats ? Elle n'a manifestement pas besoin d'un régime, mais ça ne veut rien dire. Un bouquin ? Oui, mais si je le connais c'est qu'elle est de son côté probablement capable de le réciter, quant à en prendre au hasard un que je ne connais pas... Mais quelle idée peut-elle bien avoir derrière la tête ?

Pour la vingtième fois, j'envisage d'envoyer un texto afin de prévenir que je ne peux pas, que j'ai un empêchement, que je suis malade. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait faux. J'ai pourtant pris soin d'éviter viande et lait ces jours derniers, sans parler du cassoulet, évidemment. Mais ça ne m'empêche pas d'avoir le ventre qui proteste. Je les connais bien ces coulées d'acide qui attaquent les épithéliums et ces contractions qui nouent les intestins. La relaxation n'y suffit plus. J'ai déjà mon portable à la main. Mais je me raisonne. Allons, c'est ridicule : elle ne va pas te manger ! Probablement pas, du moins. Je range mon portable.

C'est bizarre de marcher dans la rue avec des fleurs. C'est déjà la troisième jeune femme qui me fait remarquer en riant que c'est très gentil de lui avoir acheté un bouquet, ou qui me demande si c'est pour elle. Les quolibets sont ils toujours aussi peu imaginatifs ? J'aimerais répondre avec humour, mais je n'en suis vraiment pas capable et me contente de sourires polis. Pourquoi se mettre dans cet état, d'ailleurs ? Parce que c'est la dernière fois que je la verrai ? Peut être bien, mais si j'annule je ne la verrai plus du tout. Et alors ? Einmal ist keinmal... Ce n'est du reste pas tout à fait vrai, car si on ne vit qu'une fois, on peut en revanche imaginer de nombreuses fois. Même pathétique, ce souvenir se pourra chérir dans les limbes de la mélancolie. Il faut que j'y aille.

Comment cela va-t-il être chez elle ? J'imagine un appartement plutôt vaste, immaculé et millimétriquement ordonné, mais pas à la manière d'un bloc opératoire. J'imagine peu de chrome et de blanc, plutôt des tons crème et pastels pour une ambiance savamment feutrée. Je la vois assise devant une table de bois peinte en bleu, couverte de panières de fruits, de pâtisseries et de bols fumants au milieu desquels trône une carafe cristalline de jus d'orange. La vive lumière qui sourd des rideaux de dentelle se projette en arabesques sur son épaisse robe de chambre blanche et sur ses cheveux qui pour une fois ne sont pas rigoureusement coiffés. Hum... Il faut bien sûr faire abstraction du fait que c'est la fin de l'après-midi, que le ciel est plombé et que je serais bien embarrassé de la trouver en robe de chambre.

Non, en fait une table basse est plus probable, peut-être de bois noir laqué aux accents orientalistes. Nous mangerons assis en tailleur sur la moquette, ou peut-être sur des coussins ou des poufs. Et je tenterai de ne pas trop me couvrir de ridicule, de ne pas trop rougir ni balbutier. Pendant que nous causerons et que je m'efforcerai pour changer de ne pas trop m'appesantir sur mes états d'âme, je ne pourrai m'empêcher de voir sa bibliothèque :  tous ces livres qu'elle a non seulement lus, mais encore compris et retenus ! Je lui ai déjà dit lors de notre première rencontre que cela me pesait de n'avoir personne avec qui partager mes découvertes littéraires, théâtrales ou autres. Elle a pu penser avoir affaire à quelqu'un d'intéressant et cultivé et je n'ai rien fait pour la détromper. Au contraire : j'ai désespérément étalé la confiture qui s'enfuyait par les nombreux trous de la tartine. Mais là, dans le sanctuaire de ses méditations, je serai à nu. Combien de temps avant qu'elle ne s'ennuie de ce gugusse qui voudrait bien avoir l'air mais qu'a pas l'air du tout ?

Je voudrais qu'elle me parle d'elle, mais ce n'est pas pour ça qu'elle me fait venir, n'est-ce pas ? Elle aura d'ailleurs tout prévu pour que je le comprenne : robe osée, mise parfaite, alchimie de beauté dont je ne soupçonne pas même la complexité, peut-être même des dessous affriolants ? Et moi, je ferai semblant de ne pas comprendre. Elle se prêtera sans doute à la discussion pendant un moment. Peut-être même fera-t-elle preuve d'assez de mansuétude pour feindre de croire à ma profondeur d'esprit. Et puis au fur et à mesure, elle commencera à éluder les questions, à être plus cassante. Enfin, déçue de ne pas être tombée sur un homme, « un vrai » comme on dit, elle me proposera d'un air pincé une autre tasse de thé...

J'ai la gorge nouée. Non, pas cette fois, c'est trop bête ! J'arrive bientôt dans sa rue, il y a là une pharmacie. Fébrile, j'en passe la porte automatique. Il y a la queue, je risque d'être en retard. Il fait chaud, j'étouffe au milieu des éventaires avec mon blouson, mais je ne veux pas l'ôter. Que de médicaments en tout genre ici, des monceaux de pilules... Une orange pour rire, une blanche pour être bien, mais moi c'est pour les bleues que je suis là. La pendule derrière le comptoir m'informe que je suis à présent en retard. Encore deux personnes et dans mes tempes le sang qui résonne. Je desserre le col de mon blouson. C'est à moi. La pharmacienne, pas vilaine dans sa blouse mais maquillée à la truelle, avise mes fleurs et me gratifie d'un sourire amène : « Oh, que c'est gentil d'avoir pensé à moi ! »

Je n'entends pas la suite. Elle me demande probablement ce que je veux, mais je m'enfuis déjà. J'étouffe, il me faut de l'air. Je déboule dans la rue comme un forcené et me sens tout dépenaillé, bien que j'aie sans doute l'air à peu près normal. Il me faut plusieurs minutes de marche et de brise froide pour reprendre mes esprits et réaliser que j'ai laissé choir mon bouquet. Dans un petit parc malodorant, je m'écroule sur un banc à côté d'un clochard qui cuve tranquillement. À cet instant, je l'imiterais bien, mais je n'ai même pas le courage de me mettre en quête d'une épicerie. Il me reste encore quelque chose à faire pourtant. J'attrape mon portable...

~~~<>~~~

PS : pour ceux qui auraient un doute, ce blog n'est pas un journal intime. ;)

Publicité
Publicité
Commentaires
K
J'ai beaucoup aimé son texte. Merci.
N
..."la démission" ce n'est pas si mal non plus. Mais surtout, c'est un clin d'oeil à Mademoiselle Standby ( http://standby2.canalblog.com/archives/2009/10/20/15504662.html ).<br /> <br /> Et coucou Kath. :)
K
Pourquoi pas "La Fuite" ?<br /> <br /> :)
Le terrier de Nil-the-Frogg
  • Quelques nouvelles, quelques dessins et à venir, peut-être, des histoires en feuilleton... L'ensemble n'est pas vraiment "pour adultes", mais je n'aime pas me censurer lorsque j'ai de l'inspiration un peu osée... English material included ;)
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité